Brève histoire de la présence
au Bas-Canada
du Régiment suisse de Meuron

par
Maurice Vallée

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Meuron, un terme peu connu

Le meuron est le petit fruit du mûrier suisse mais également le fruit de la viorne cotonneuse. Et qu'est-ce qu'une viorne? Un simple arbuste à fleurs blanches. Meuron, c'est également le nom d'une famille noble suisse. L'un des membres de cette même famille, Charles-Daniel de Meuron, formera en 1781 un régiment de mercenaires, le Régiment de Meuron. D'abord mis au service de la Compagnie hollandaise des Indes orientales et déployé au Ceylan (Sri Lanka), ce Régiment passe ensuite au service de l'Angleterre.  En 1813, on le retrouve stationné sur l'Île de Malte, au milieu de la Méditerranée.
 

Départ de l'île de Malte

L'armée de Napoléon recule sur tous les fronts et l'Empire britannique se retrouve avec des milliers de soldats à ne rien faire en Méditerranée. Pourquoi ne pas en profiter pour régler le problème de l'envahissement des Canadas par les Américains. L'ordre est donc donné d'expédier outre-atlantique dans les meilleurs délais des troupes régulières et des régiments de mercenaires. Le Régiment suisse de Meuron est parmi ces derniers.

Les dix compagnies de Meuron comptent le 13 mai 1813 à leur départ de l'île de Malte 931 soldats, 51 caporaux, 53 sergents, 21 tambours et fifres, un sergent major, un sergent quartier-maître, un sergent paie-maître, un sergent d'armes, un tambour major, un sergent instructeur, 43 officiers pour un total de 1 105 hommes selon les notes de Gérard Malchelosse dans son article « Deux Régiments suisses au Canada » publié par Les Cahiers des Dix en 1937. Une vingtaine de femmes auraient accompagné le Régiment. Puis, le convoi aurait fait escale à Gibraltar le 27 mai pour embarquer d'autres recrues mais, est-ce bien le cas ?
 

Arrivée au pays

Selon Émile-Henri Bovay dans son livre Le Canada et les Suisses, 1604-1974 publié en Suisse en 1976, le Régiment est arrivé à Halifax le 16 juillet 1813 sur les Regulus, Melpomène, Dover et Plantagenet. Le commandant John Tailour du HMS Regulus ne nomme cependant que trois vaisseaux dans une lettre adressée au Commandant en chef Sir George Prevost le 25 juillet 1813.

His Majesty's Ship Regulus
Québec 25th July 1813

Sir,

I have the honor to
annouce to you the arrival of the
Regiment de Meuron consisting of
one Major, six captains, twenty others
officers, fifty four sergeants, twenty
two drummers, one thousand and one
rank and file, twenty eight women and
twenty eight children in His Majesty's
Ships Regulus, Dover and Melpomene
and in my command for your disposal.
They embarked at Malta on the 5th of
May, were at Gibraltar from the 27th of
that month till the 11th of June through
contrary winds from the 8th till the
10th of this month at Halifax where
I had to call for orders and they are
now ready for disembarkation in
high health.

Tailour rapporte donc un arrêt de 15 jours devant Gibraltar, du 27 mai au 11 juin, et en date du 25 juillet à Québec, il signale l'arrivée du Régiment de Meuron comprenant un major, 6 capitaines, 20 autres officiers, 54 sergents, 22 tambours, 1 001 soldats, 28 femmes et 28 enfants. Le total est donc de 1 104 militaires et de 56 civils. Le régiment est ensuite logé dans les baraques des Jésuites. Puis le 11 août, le Regulus et le Melpomène repartent pour Halifax avec des prisonniers de guerre américains à leur bord. La troisième division du Régiment est envoyée à William Henry (Sorel) par steam boat un mois plus tard soit le 25 août, selon une lettre du lieutenant-colonel François-Henri de Meuron-Bayard puis s'achemine vers Chambly.

 

Le siège de Plattsburgh

À l'été 1814, le gouverneur-général du Canada et commandant en chef des armées britanniques au pays, le suisse Georges Prévost, reçoit des renforts et décide enfin de rendre les coups aux Américains. Le 1er septembre 1814, il fait donc avancer en territoire américain son armée forte de 11 000 hommes vers le bourg des Platt ou Plattsbourg dans l'État de New York. Le Régiment de Meuron sous la conduite du lieutenant-colonel François-Henri de Meuron-Bayard est partie intégrante de la brigade du major général Thomas Makdougall Brisbane. Les francs-tireurs de l'ennemi sont nombreux tout au long du chemin. Plusieurs soldats de Meuron y perdent la vie.

Comme le raconte le lieutenant de Goumoëns dans sa Relation de la prise de Platzbourg, c'est un peu par hasard que le Régiment de Meuron s'est retrouvé dans la ville de Plattsburgh. Les habitants ont fui les quelques 80 maisons qui composent le village et les maisons sont incendiées l'une après l'autre. Les soldats ennemis dont un grand nombre sont malades, se sont repliés dans deux fortins au sud. Toutefois, la flotte britannique sur le lac Champlain ayant été coulée par les navires américains du commandant Thomas Macdonough et, ayant été informé de l'arrivée imminente de renforts du côté de l'ennemi, le commandant Prevost ordonne la retraite. Le Régiment de Meuron, couvrant les arrières, rentre au Bas-Canada après six jours d'occupation avec 18 soldats en moins. Deux blessés sont laissés derrière, à Plattsburgh, dans un hôpital de fortune devenu dans les années 1990 le Musée historique du comté de Clinton.


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Le drapeau du régiment de Meuron lors de sa présence au Bas-Canada

La Gazette de Québec a suivi et rapporté les événements presque quotidiennement aux citoyens du Bas-Canada. Voici toutefois le récit du lieutenant de Graffenried du Régiment de Meuron, témoin de premier plan de cette fameuse bataille :

Enfin faut-il parler de la malheu
reuse expédition de Platzburg sur
le lac Champlain.  mieux vaudrait
il n'en rien dire du tout ?

La flotille anglaise sur le lac fut
battue et prise en partie par les
Yankees; le "commodore" anglais
étant tombé un des premiers, la
flotte fut mise en déroute.  Tout
cela se passa sous nos yeux et à
portée de nos canons !

Après avoir campé pendant quel
ques jours près de Platzburg, la belle
armée de 10,000 hommes fit sem
blant de vouloir attaquer le Fort.

Mais celui-ci avait reçu des ren
forts et une fameuse canonade di
rigée sur nous, nous causa des per
tes considérables.

L'ordre fut donné de retourner à
Chambly; les chemins étaient devenus
presque impraticables, et le méconten
tement général.

Le général Prévost, qui avait eu
le commandement, dût passer court
martiale.

C'était la première fois que j'ai été
au feu; en longeant la côte de la
baye, la flote nous régalait de mi
traille, et nous fit perdre quelques
hommes.  Arrivés au faubourg,
nous; (les 4 compagnies de Meuron), nous
y établissons, il était entièrement
désert; les habitans avaient pris la
fuite en nous voyant approcher.

Il y avait beaucoup de provisions
et dans bien des maisons les tables
servies pour le dîner; et que je n'ou
blie pas, les excellents cigarres, que
je trouvai, et dont je me suis ample
ment servi sans invitation !

Le reste de l'armée était campé à
quelque distance, derrière une fo
rêt, à l'abri des canons du fort, et
de la flotille.

Nous continuâmes à entretenir
un feu assez vif pendant le reste
de la journée, sans nous arrêter
la nuit, et durant la journée du
lendemain. Eux, ne ména
geaient point leurs propres mai
sons qu'ils criblaient de boulets
et de mitraille, sans nous faire
grand mal.

Une chaloupe canonière nous in
commodait sans cesse, le colonel
m'envoya au Quartier général, mon
té sur son propre cheval, pour de
mander une pièce de canon, qui
fit promptement prendre la fuite
à la dite chaloupe.

En passant seul devant le Fort, je
servis de but aux balles des Yankees
mais un cavalier n'est pas facile
ment atteint par un boulet de ca
non; ils sifflaient à droite, à gau
che et audessus de moi, mais au
cun ne me toucha.

Enfin vers le soir, un régiment
anglais vint nous relever.

Nous sommes tous persuadés que
si nos quatre compagnies avaient
eu la permission de passer la ri
vière, nous aurions chassé les
Yankees qui s'étaient retirés de
vant nous, et qu'en les poursuivant,
nous aurions pris le fort à nous seuls.

Il est à peu près certain que si Prevost avait donné cet ordre au Régiment de Meuron de passer à l'attaque, l'issue du combat aurait été tout autre et nos voisins de Plattsburgh auraient beaucoup moins de victoires à célébrer chaque année. Quoiqu'il en soit, retourné en garnison à Montréal, Meuron-Bayard doit expliquer à son commandant en chef pourquoi 15 privates of the Regiment de Meuron lost their packs while at Plattsburg. Selon Bovay, le régiment est ensuite remercié de ses services près de deux ans plus tard, soit le 26 juillet 1816, et il s'embarque le même jour à destination de l'Angleterre sur le brick Eliza arrivé vers le 20 juin au port de Québec.

Il laisse sur place au Canada 343 soldats et 10 officiers selon l'historien Bovay. Selon De Bonnault dans son article « Les Suisses au Canada » publié dans le Bulletin des recherches historiques en 1965, ce sont 504 hommes, 72 femmes et 30 enfants qui ont été laissés au Canada par le Régiment de Meuron. De ce nombre, toujours selon Bovay, plus de 90 vétérans prendront part en tant que miliciens à une expédition de Lord Selkirk contre la Northwest Company et se rendront à la Rivière Rouge au Manitoba. Des contrats en bonne et due forme sont signés chez le notaire Joseph Désautels de Montréal en 1816 et même en 1817.

En remerciement de leurs bons et loyaux services, la Couronne britannique donna des terres à plusieurs de ceux qui sont restés au pays à condition qu'ils les défrichent pendant une période de trois ans avant de les donner ou revendre. Les soldats et officiers du Régiment licencié de Meuron se sont donc installés au pour une bonne part dans les cantons de Grantham et Wickham (près de l'actuelle cité de Drummondville) au Bas-Canada, et, dans le canton de Bathurst (près de l'actuelle cité de Perth) dans le Haut-Canada. Ceux qui accompagnèrent Lord Selkirk reçurent des terres de leur employeur à la Rivière Rouge. Un soldat a droit à 100 acres de terre, un sergent à 200 et un lieutenant à 500.
 

Pétition en 1836

Selon les Lower Canada Land Papers, un groupe d'une trentaine de vétérans de Meuron de la région de Montréal envoient une pétition au très honorable Archibald comte de Gosford, gouverneur en chef des Haut et Bas Canadas. Les instigateurs de cette pétition semblent être Auguste Lequin et Alexandre Remond. En premier, ils rappellent leurs faits d'armes au service de l'armée britannique et les promesses de terres que la Couronne leur avait faites lors du licenciement du Régiment en 1816. Et enfin voici leur demande :

C'est dans cette espérance que vos
suppliants osent s'addresser a votre
Excellence pour la supplier d'aprouver
leur demande afin qu'il leur soit
accordé les lots de terre qu'ils réclament
dans le Township de Kelkenny qui
sont encore disponibles et dont ils feront
connaitre les numéros au Secrétaire
civil en cette Province afin d'obtenir
de lui les certificats necessaires a leur
location.

... dans le cas ou il ne se trouverait
pas assez de terrain disponible dans ce
dernier rang des terres dudit Township [de Kelkenny]
pour completer la demande de vos
suppliants il leur soit permis de prendre
des terres dans [le] Township de Wesford
qui est adjacent à celui la et qui n'ayant
pas encore été arpenté doit être
disponible.

Cette démarche de 33 vétérans de Meuron dont 8 officiers, le 5 septembre 1836, à Montréal, demeurera lettre morte, semble-t-il.
 

Rebondissement vers 1960

Lorsqu'il fut question de nommer la région de Drummondville vers 1960, la Société Historique du comté de Drummond proposa le nom de Meuronnie. Sous le titre « La région de Dr'ville, la " Meuronnie "? », le quotidien La Tribune de Sherbrooke du samedi 29 avril 1961 rapportait que des membres de la Société s'étaient rendus à Québec rencontrer le sous-secrétaire de la Province pour discuter de leur proposition. La région fut finalement baptisée d'un nom évocateur soit Centre-du-Québec.

Quelques années plus tard, lorsqu'il a été question de donner un nom cette fois au parc entourant le manoir Trent à Drummondville, La Tribune du samedi 14 novembre 1964 titra « Le domaine Trent : pourquoi pas l'appeler Parc des Voltigeurs? ». Nous apprenons toutefois à la toute fin de l'article que ce n'est pas ce qui avait été proposé.

Le nom de Parc Des Meurons a été suggéré par un comité spécial composé de personnalités de la région qui ont travaillé de concert avec le comité de toponymie de la province de Québec.
Ce nom ne faisait toutefois pas l'unanimité dans la région et il fut abandonné au grand regret de certains historiens.

Le 8 août 1965, pour commémorer le 150e anniversaire du canton de Wickham, on inaugura une tour-clocher là où se trouvait la première chapelle du canton, Saint-Pierre de Wickham, tout juste à côté du vieux cimetière abandonné vers 1850. Ces lieux remplis d'histoire ont vu défiler plusieurs vétérans du Régiment de Meuron de même que leurs enfants lors de baptêmes, confirmations, mariages et inhumations. Ils portaient les noms de Bonner, Cadielÿ, Demange, Leckinger, Leümberger et Riff.


Chapelle de la paroisse St-Pierre de Wickham
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Chapelle Saint-Pierre de Wickham tel qu'esquissée par E. Caya
Construite vers 1829, abandonnée vers 1848 et vendue à Isaac Cutter comme relais de diligence vers 1851


Ailleurs, tout près

Le 3 octobre 1957, l'Ontario Archaeological and Historical Sites Board a érigé une plaque commémorative dans le parc de la ville de Perth, mentionnant le fait que des vétérans des régiments suisse de Meuron et de Watteville furent des pionniers de l'endroit. Cette ville de même que tout le comté de Lanark fêteront à l'été 2016 le 200e anniversaire de fondation.

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plaque commémorative des pionniers
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Plaque commémorative dans le parc de la ville de Perth en Ontario


À Colombier, en Suisse, une salle d'exposition est consacrée au Régiment de Meuron au Musée militaire de l'endroit. Des peintures, drapeaux, sabres et habits militaires y sont exposés.


Musée militaire de Colombier
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Musée militaire de Colombier en Suisse

Lectures

En terminant, pour ceux qui désirent en savoir plus long sur ce régiment, il faut absolument lire Le Régiment Meuron, 1781-1816 de Guy de Meuron publié en 1982 aux Éditions d'En Bas en Suisse.

Il faut lire également mon livre Le Régiment suisse de Meuron au Bas-Canada, publié en 2005 par la Société d'histoire de Drummond.

Links, journal of the Vermont French-Canadian Genealogical Society, published this text, Fall 2002, in volume 7, no 1.

Liste des soldats et des officiers du Régiment de Meuron


 
 
Page créée le 15 août 1998 et mise à jour le 14 mars 2016
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