L'établissement du village

Le futur village de Headville

Chose certaine, tous les vétérans de Meuron formaient une société tricotée serrée. On retrouve d'ailleurs leurs noms à tous les actes de baptême et de mariage. Il sont de toutes les fêtes avec leurs épouses et enfants. Des anciens du régiment viennent visiter leurs camarades à l'occasion donnant probablement lieu à d'autres réjouissances. Ces derniers apportent des nouvelles des connaissances et les soirées autour du feu sont propices à l'évocation de souvenirs des vieux pays, de l'île de Malte ou de la traversée de l'océan Atlantique. Autant de belles histoires disparues à jamais.

Ce va-et-vient entre Yamaska et le canton de Grantham, ces naissances, ces mariages et finalement l'arrivée des premières familles de Canadiens français font pression sur la construction du chemin Yamaska. Les pionniers avaient probablement déjà abattu plusieurs arbres et tracé un premier sentier. Celui-ci est définitivement converti en route plus ou moins carrossable vers 1824 selon le notaire Saint-Amant. Une autre route, le chemin Saint-Hyacinthe, sera dégagée peu à peu dans le rang 7, perpendiculaire au chemin Yamaska. Et c'est là, à l'intersection de ces deux routes, que le premier village, nommé plus tard Headville par les habitants d'origine britannique, prend forme.

Le recensement du canton de Grantham de 1831 nous révèle la présence de nombreuses familles canadiennes-françaises sur les rangs entourant Headville. Dans le rang 6, mentionnons les Caya et Langevin. Dans le rang 7, plusieurs lots sont occupés par des Canadiens français aux patronymes Bougeot dit Lespérance, Cotard, Côté, Delair, Dubois, Dugal, Fortier, Guimont, Hamel, Houle, Jubinville, Raymond, Vever dit Périgord et Vincent. Le rang 8 est ouvert par les familles Boisclair, Corriveau, Gauthier, Guimont, Lafond, Lespérance, Monette et Pinard. On retrouve même des Lavoie dans le rang 9.

En 1834, une sécheresse frappe toute la vallée de la rivière Saint-François ralentissant l'afflux de nouveaux colons. Puis un notaire du nom de Mathias-Dominique Meunier-Lapierre s'installe. Un Irlandais du nom de Patrick Dore et parlant gaélique achète une terre dans le rang 8 vers 1840.

Les recensements du canton de Grantham de 1842 et 1851 ayant disparus, il nous faut se rabattre sur les rôles d'évaluation du canton de Grantham pour avoir une idée du développement du village. Sur le rôle d'évaluation de Grantham de 1849, presque tous les lots des rang 6, 7 et 8 sont occupés. Il y a encore, bien sûr, plusieurs noms de consonnance anglaise mais également plusieurs nouveaux patronymes canadiens-français. Sur le rang 6, mentionnons Blanchet, Clair-Houde, Duplessis, Janelle, Rivard et Robidas. Sur le rang 7, il faut ajouter les patronymes Barnabé, Boisvert, Cusson, Fleury, Gilbert, Hamel, Jutras, Saint-Cyr, Lahaie, Martel, Mélançon et Senville. Et enfin sur le rang 8, les patronymes suivants se sont ajoutés : Joyal, Lafleur, Larammé, Marcotte, Mathieu, Saint-Pierre et Sicard. Et le rang 9 continue sa progression avec des familles Arrel, Champagne, Carpentier et Parent. Soulignons également que 12 lots sont possédés par la fameuse British American Land Company sur le rang 5 et un très grand nombre de lots possédés par Sir James Stuart dans les rangs 9, 10, 11, 12 et 13.
 

Pétitions et contre-pétitions pour la chapelle

En 1849 toujours, le curé de Drummondville, l'abbé Joseph-Hercule Dorion, un peu désespéré de ses paroissiens de la ville, propose carrément à Monseigneur Cooke de transporter la paroisse Saint-Frédéric dans le rang 7 de Grantham, soit en plein centre du canton. Monseigneur a alors convenu qu'effectivement la perte de l'emplacement de Drummondville ne sera pas une grande perte. Ce jour là, le futur village de Headville est venu à un cheveu de se nommer Saint-Frédéric. Ce fait étonnant nous est rapporté par Marie-Paule LaBrèque dans un article intitulé « La Dîme dans Saint-Frédéric de Drummondville au temps des missionnaires » publié par la Société d'histoire régionale de Nicolet en mars 1982 dans Les Cahiers nicolétains.

Le tout est confirmé le 30 octobre 1850 par l'envoi d'une pétition à Monseigneur Turgeon demandant de déménager la vieille chapelle Saint-Frédéric de Drummondville dans le centre du canton de Grantham. Ce serait raisonnable puisque maintenant il est habité jusque dans les derniers rangs. Et d'autant plus qu'il y a peu de catholiques au village de Drummondville. Cent-quatorze signataires apposent leurs marques sur la pétition et les deux premiers sont Honoré Duff et Thomas Niderer. Suite à cette demande, une réunion est convoquée par l'abbé Carrier de la paroisse Saint-Antoine de Baie-du-Febvre pour le 19 décembre 1850, à 10 h 00, à la maison d'Alexandre Bougeot dit Lespérance dans le rang 7.

L'abbé Carrier fera rapport de cette importante réunion à son évêque. En voici quelques bribes. Cent-cinquante propriétaires se sont présentés. Les gens ont choisi un emplacement dans le rang 7 sur la terre d'Honoré Duff. Les dimensions de la chapelle sont de 100 pieds par 48 en mesure française (32,48 mètres par 15,61). La hauteur prévue est de 24 pieds (7,8 mètres). L'abbé Carrier a donc marqué l'emplacement sur le chemin Saint-Hyacinthe. Mais entre-temps. il a reçu une autre pétition de 69 propriétaires du village de Drummondville s'opposant au déménagement de la chapelle, même si elle est en très mauvais état.

Dans une lettre à son évêque, l'abbé Carrier se dit partagé. D'un part les paroissiens de Drummondville sont dans l'environnement immédiat de beaucoup de protestants. L'Église risque de les perdre si la chapelle est déménagée. Par ailleurs, il y a effectivement peu de catholiques sur les rangs nos 2, 3 et 4. L'Église risque donc de perdre ses paroissiens des rangs nos 6 à 13 à cause de l'éloignement, si la chapelle n'est pas déménagée. Et comme la population catholique augmente à vue d'œil dans ces rangs là ...

Le rôle d'évaluation du canton de Grantham de 1851, encore plus précis et plus complet que celui de 1849, confirme cette nette augmentation des familles canadiennes-françaises. Les fils des premiers défricheurs s'installent à leur tour. S'ajoutent également des Bastien, Dubuc, Granbois, Joyal, Landry, Lupien et Veilleux. Les rangs nos 9, 10, 11 et 12 du canton de Grantham sont maintenant ouverts.
 

Les routes importantes

Sur un autre front, le 10 septembre 1849, le conseil municipal du comté de Drummond reçoit d'un œil favorable une pétition pour la continuation du chemin de Saint-Hyacinthe. À cette même assemblée, on en profite pour annoncer la nomination des inspecteurs des routes. Les nouveaux responsables sont Francis (François-Hyacinthe) Grandmont, David Corriveau, François Barnabé, François Joyal, Xavier Jetté, François Lafleur, Étienne Leroux, John Leison, Honoré Gagnon père et François Martin dit Barnabé. Les évaluateurs seront Joseph Grandmont père, Joseph Dargis et François Clair-Houle. Et le 15 octobre 1849, c'est la résolution pour ouvrir la route de Saint-Hyacinthe jusqu'au canton d'Upton sur une largeur de 30 pieds (9,14 m.).

Grâce à l'Acte des Chemins et Municipalités, présenté en 1854 et adopté en février 1855, la municipalité du comté de Drummond prend en mains l'entretien de ses routes et taxe à valeur égale les grands spéculateurs terriens de son territoire pour toutes les dépenses de la municipalité. Ceux-ci voyant leur profit rongé par les nouvelles taxes se départissent de leurs terres plus rapidement faisant ainsi le bonheur de plusieurs familles désirant s'établir.
 

Saint-Germain de Headville

Le 30 décembre 1852, une lettre est envoyée à Monseigneur Cooke de Trois-Rivières par quelques habitants du futur Headville. On peut y lire la signature d'Alexandre Lespérance, Joseph Houle, Baptiste Houle, Raphaël Fleury, Jacob Herman, Honoré Duff, Félix Pinard et Léandre Gauthier. Ces paroissiens disent ne plus vouloir de la chapelle pourrie de Drummondville. Ils veulent une église de briques ou de pierres dans le rang 7. Maintenant que l'emplacement de la ligne de chemin de fer est décidé, il n'y a plus rien qui s'oppose à la construction du temple.

Comme leur dossier n'avance pas, les paroissiens adressent une nouvelle pétition à Monseigneur Cooke le 8 août 1853 et une autre le 26 septembre 1853. Une grande croix est plantée officiellement le matin du 8 novembre 1853 malgré les récriminations des protestants du gros bourg de Drummondville. Et enfin, le 29 novembre 1853, une nouvelle rencontre a lieu à la maison-école no 2 dans le rang 7. Des syndics pour la construction d'une chapelle sont nommés : Jean-Baptiste Leclair prêtre missionnaire, Honoré Duff, Joseph Houle, Patrick Dore, Joseph Cardin, Moïse Lafond, Gabriel Danie, Antoine Robidas et François Saint-Martin. C'est donc à l'été 1854 que la grande corvée pour la construction de la chapelle a eu lieu. Elle est bénie le 28 janvier 1855 par le curé Belcourt de Drummondville. À la même époque, la petite agglomération se donne le nom de Headville en l'honneur du nouveau gouverneur général du Canada, Sir Edmund Walker Head. Puis nous avons le 29 juin 1856, par décret de Thomas Cooke évêque des Trois-Rivières, l'érection cannonique de la paroisse de Saint-Germain.

Celle-ci n'alla pas sans pétitions dont certaines signées à Saint-Germain de Headville. Ces pétitions portent cette fois sur les limites de la paroisse. Lors de la demande de la création de la nouvelle paroisse le 9 octobre 1855, tous les propriétaires catholiques des rang 5 à 13 avaient été recensés. Le 10 mars 1856, c'est au tour des propriétaires catholiques de Drummondville de réagir dans une pétition préparée par le notaire Louis-Basile David et adressée à l'abbé Carrier. Ils veulent que la vieille paroisse Saint-Frédéric de Drummondville conserve les catholiques des rang 5 et 6.

Même les propriétaires anglicans du rang 5 s'en mêlent. Ils expédient eux aussi une pétition à Monseigneur Cooke le 10 juin 1856. Ils veulent faire partie de Saint-Germain, une municipalité distincte de Drummondville, avoir un conseil municipal, des commissaires d'école et ils veulent pouvoir diriger leurs affaires conjointement avec les habitants de Saint-Germain. Deux autres raisons, mentionnées au document, les incitent à envoyer leur pétition, une bonne école à moins d'un mille et des terrains marécageux entre le rang 4 et le rang 5 rendant Drummondville inaccessible une bonne partie de l'année. Les signataires de cette lettre sont Edward Watkins, William Watkins, Gideon Wright, John Mitchel, Marguerite Wright, William Clampet, et, le témoin officiel de la signature du document est Henry Menut.

Saint-Germain-de-Grantham

Enfin nous avons la création officielle de la municipalité le 6 septembre 1856 par proclamation de Sir Edmund Head, gouverneur général du Canada. Thomas Niederer sera le premier maire élu du tout nouveau village de Saint-Germain-de-Grantham le 8 février 1858 lors de la tenue de la première assemblée du conseil municipal. Il est remplacé en 1859 par Augustin Veilleux puis en 1860 par Adolphe Savignac et en 1862, de nouveau par Augustin Veilleux.

Quoique les Watkins déclareront qu'ils sont du village de Headville jusqu'en 1877 au registre de l'église Saint George de Drummondville, c'est véritablement au recensement de 1861 que nous voyons apparaître, officiellement, pour la dernière fois, le nom de Headville. Trois des quatre recenseurs du canton de Grantham y signent solennellement leur serment de professionnels. Le total des habitants du canton est alors de 2 360 personnes avec comme moyenne d'âge 21 ans. Un tiers habite entre le premier rang et le sixième rang avec le hameau de Drummondville comme chef-lieu et les deux tiers entre le sixième rang et le douzième, avec comme chef-lieu le hameau de Headville nouvellement baptisé Saint-Germain-de-Grantham. Alors que Drummondville vit la stagnation et la décroissance, Saint-Germain vit la croissance rapide.


Courbe démographique en 1861

Saint-Germain en 1861


Avec ses 1 590 habitants, le hameau germainois a une moyenne d'âge de 20 ans pour 783 hommes et 807 femmes. Comme on peut le constater, la moyenne d'âge est très jeune. Est-ce que nous aurions une telle moyenne d'âge en ce début du XXIe siècle? La comparaison serait sans doute très intéressante.


Origine du nom Saint-Germain

L'historien Hormisdas Magnan dans son Dictionnaire historique et géographique des paroisses, publié en 1925, affirme que le nom de Saint-Germain a été donné à la paroisse en l'honneur de Germain Sylvestre, un des premiers colons de la localité. Quelques indices nous laissent cependant dans l'incertitude quant à cette affirmation. Aucun écrit dans les regitres de la paroisse la confirme. Le nom d'une paroisse était d'ailleurs donné par l'évêque du diocèse et non par les paroissiens. De plus, Germain Sylvestre n'est pas un des premiers colons de la paroisse mais bien un des derniers car son nom n'apparaît pas sur les rôles d'évaluation de 1849 et de 1851 du canton de Grantham. Son dernier fils, François-Xavier, est baptisé le 5 décembre 1852 à Saint-Aimé (Massueville). Que faut-il en conclure?

Maurice Vallée


3) L'âge d'or de Saint-Germain  et déclin


Page créée le 27 septembre 1998 et mise à jour le 28 septembre 2016
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